Laissez-moi vous conter ici les
conséquences de ce malheureux incident :
Le jeune seigneur, bien qu'offusqué de
voir un si bon vin abreuver le parquet, n'en aurait pas provoqué un
duel pour autant. C'est pourtant ce qui arriva, allez savoir
comment... Il est certains que les jeunes chevaliers de Thalisma ne
furent pas pour rien dans l'histoire. Le sang chaud, la parole
prompte, et au cœur l'envie de voir batailler, ils poussèrent sans
vergogne au combat les deux damoiseaux. Prétextant l'honneur,
l'affront ou le courage... Pour une histoire de vin renversé, ces
érudits en matière de boisson en aurait presque invoqué le dieu
des vignes ! Bref. Les dames aussi jouèrent leur rôle : prenant
parti pour l'un ou l'autre selon les penchants de leurs cœur, elles
eurent bientôt l'impétueux désir de savoir lequel des deux serait
le plus brave... ce qui réclamait un beau duel.
Léodagan n'avait pas pour première
intention de mener bataille en plein bal, cependant cette idée lui
semblait plus trépidante que de danser la pavane en tenant la main
froide de Valentine de Noghal.
Lassé du brouhaha des chevaliers, il
prit la parole :
« - Alons ! S'il le faut, réglons
cela par les armes sire Feliscorpus ! Cependant ne versons point le
sang dans la demeure du Prince. »
Tout le monde approuva avec entrain, et
l'on sortit dans une grande cour. Elle était ainsi que je vais vous
la décrire : Parfaitement carrée, avec tout autour un passage
couvert soutenu par de hautes colonnades. Une multitude d'objets
scintillants tapissaient les voutes et sur chaque colonne était un
flambeau qui s'allumait de lui-même à la nuit tombante. Le sol
était de marbre blanc poli et brillant, reflétant presque le ciel
rougeâtre du crépuscule. Et au centre de la place jaillissait une
fontaine d'eau claire mêlée de flammes.
On alla chercher un druide pour
arbitrer, puis les duellistes se placèrent face à face et des
écuyers apportèrent les armes.
Les gens formèrent un cercle autour de
Virgile et Léodagan, s'interrogeant sur les chances de l'un ou
l'autre des deux jeunes hommes. On imaginait l'un plus agile, l'autre
plus expérimenté... L'issue du combat suscitait une grande
curiosité.
Le druide alla lestement se percher sur
la margelle de la fontaine et annonça les protagonistes d'une voix
claire et forte. Il le fit dans les règles de l'art... cela prit
donc un certain temps.
« - Le duel oppose Monseigneur
Léodagan, fils de Léonidas De Tigris, seigneur de Tigris, petit
fils de Léontius, […] lui même fils de Léon Tigris le tueur de
dragons ; à Monsieur Virgile, fils de Fratel Feliscorpus d'Agaïa,
duc de... »
Ce discours fort long dont je vous
épargne une grande partie laissa au combattants le temps de s'armer.
Ils confièrent leurs longues capes brodées à des pages, et leurs
beaux habits disparurent sous les protections de fer.
Léodagan retrouva gaiement le
tintement des mailles, les odeurs du cuir et du fer, et aussi les
gestes familiers : serrer les courroies, ajuster son casque et ses
genouillères, sentir dans sa paume le poids de l'épée...
« - ...l'offensé a le choix des
armes, la magie n'est pas autorisée et le vainqueur aura
comptabilisé trois touches ou mis son adversaire à sa merci. Que le
meilleur gagne Messieurs ! »
La fin du discours sonnait le début du
combat. Virgile et Léodagan s'élancèrent l'un contre l'autre.
Chacun estima la force de son adversaire avec prudence. Puis leurs
coups se firent plus sûrs et plus vifs. Les épées étincelantes
s'entrecroisèrent avec fracas. La foule suivait des yeux les
enchaînements secs des coups et des parades, les esquives soudaines
et les déplacements rapides de Léodagan et Virgile. Leurs assauts
vigoureux raisonnaient dans les airs, comme la forêt raisonne de la
lutte des cerfs...
La nuit tomba rapidement et l'éclat
des flambeaux vint danser sur les lames mouvantes. Ajoutant à
l'honorable combat une beauté étrange.
Un tel spectacle comblait la foule,
mais le duel se doit d'avoir une fin. Soudainement heurté d'un coup
d'épaule, Virgile s'étala au sol dans un vacarme métallique. Il
avait négligé sa garde et il était maintenant à la merci de son
adversaire. Encore étourdi, l'épée sous la gorge, il dût admettre
sa défaite.
(Deux alexandrins se sont glissés dans
ce texte, à toi de les retrouver ! ^^)